C'était un après-midi froid. La neige tombait en gros flocons et peu de gens se trouvait sur les routes recouvertes d'un manteau de glace.
Break avait pensé l'espace d'une minute à aller marcher dehors, si seulement pour apprécier le spectacle d'idiots embrassant la terre en glissant avec très peu de grâce, mais Break était presque totalement aveugle et donc cette activité n'avait plus aucun intérêt.
Il décida alors de partir à la recherche de la jeune Rainsworth.

Sa quête arriva rapidement à sa fin – l'homme aux cheveux blancs demanda simplement à l'une des employées du manoir où se trouvait actuellement la damoiselle Rainsworth et apprit ainsi qu'elle était dans ses quartiers en train de lire. Mais quel livre, se demanda l'ancien chevalier? Ses romans à l'eau de rose? De grandes épopées épiques? Ou un bouquin des plus ennuyeux, du genre de ceux que les agents de Pandora se devaient parfois de lire pour s'éduquer sur d'importants sujets?
Peu importait, vraiment. Break ne pouvait plus que lire les couvertures aux lettres gravées. Cela ne l'empêchait cependant pas d'aller rejoindre Sharon avec une tasse de thé et quelques biscuits.
Break se rendit à la pièce où se trouvait la miss, frappa quelques coups et entra avant de déposer ce qu'il apportait sur la table basse près de la porte.

-Mes salutations, Miss~

Tout cela était décidément bien ennuyeux et elle n’arrivait pas à se concentrer. La jeune Rainsworth  y était depuis maintenant depuis plus deux heures et demie mais elle n’arrivait pas à dépasser la huitième page.  Au lieu de continuer à lire, elle regardait la neige tomber. Elle était magnifique à cette époque de l’année, elle tombait en virevoltant au gré du vent. Sharon aurait aimé être dehors à en profiter. Elle aurait été peut-être accompagnée par Break et Reim... D’ailleurs, comment allait ce dernier? Elle ne l’avait revu depuis.......Elle ne saurait dire combien de temps.
  Sharon quitta la fenêtre des yeux et retourna dans sa lecture pour la laisser immédiatement. Elle se leva de son bureau, prit le livre et s’installa dans un confortable fauteuil blanc, qui était contre la fenêtre. Elle reprit sa lecture. Son livre parlait des anciens et actuels contractants illégaux qui n’avaient pas été arrêtés.  
  Au bout de quelques minutes, lassée, elle tourna la page. Cette fois, l’information portait sur Kevin Regnard. Selon sa fiche, c’était un chevalier des Sinclair qui aurait passé un pacte avec une chain puis prit la vie de cent seize personnes.  Sharon était horrifiée et se demandait quel genre d’homme il était pour ôter la vie à toutes ces personnes...
Le surnom de ce contractant était « le fantôme aux yeux rouges ».
  La jeune fille, toujours choquée, leva la tête et eut un petit mouvement de recul  en apercevant un iris rouge qui l’observait. Elle se détendit en voyant qu’il s’agissait de Break. La contractante d’Eques ne l’avait pas entendu arriver.

- Break, que penses-tu des contractants illégaux ?

Break ne fut pas surpris de ne pas recevoir de réponses à sa salutation; la damoiselle pouvait être des plus absorbées par ses lectures. Il versa le thé dans une tasse et y ajouta le sucre et le lait, comme l'aimait Sharon; plaça deux biscuits au sucre dans la soucoupe de porcelaine blanche. Il en profita pour attraper l'un des biscuits aux chocolat pour le manger.
Le valet des Rainsworth fit son chemin jusqu'à la demoiselle et déposa le thé et les biscuits sur la table près du fauteuil.
Sharon lui posa alors une question des plus déplaisantes.
Break sourit. C'était un sourire aigre, un peu dédaigneux.

- Est-ce le sujet de votre lecture, Miss? Comme c'est embêtant!

Il avait soudainement l'envie de retourner au plateau de thé pour croquer quelques uns des carrés de sucre qui s'y trouvaient, mais le Chapelier se retint et resta près de la jeune femme.

- Peu importe l'opinion que j'ai envers eux, notre travail à Pandora est de les pourchasser et les arrêter. Qu'y a-t-il à savoir de plus?

-Est-ce le sujet de votre lecture, Miss ? Comme c’est embêtant ! dit-il, et il ajouta : peu importe l’opinion que j’ai envers eux, notre travail à Pandora est de les pourchasser et les arrêter. Qu’y a-t-il à savoir de plus ?

Break avait raison. Sharon le savait, mais elle ne pouvait s’empêcher de se poser la question. Qu’est-ce qui poussaient des personnes de conclure des pactes et de tuer ? Le changement de leur passé ? Ou serait-ce autre chose ? Mais... Pourquoi se sacrifier ? Comment pouvaient-ils rejeter leur présent et leur futur ?

-Ton opinion est importante pour moi... Je veux savoir ce que tu penses d’eux.

La réponse de Break l’aiderait à forger la sienne. Depuis qu’elle était un membre de Pandora, la jeune femme ne s’était pas faite une opinion des contractants illégaux. Elle s’était contentée de celle de Pandora...

...
Break décida qu'il voulait lui aussi une tasse de thé. Il retourna donc au service de thé, ses pensées égarées dans l'abîme de ses souvenirs.
L'homme à l'oeil rouge ne pensait pas que la Miss avait besoin de son avis. Il était un vieillard désabusé, même si son apparence ne reflétait pas son âge avancé.
Lorsque Sharon parlait d'eux, des Contractants Illégaux, Break se voyait dans ce groupe. Ce "eux" qui était un "nous" parce que lui aussi avait ce péché pesant sur ses épaules - une âme tachée de sang.
Il avait le dos tourné à la damoiselle Rainsworth, occupé qu'il était à verser du thé dans sa tasse.

- Je pense qu'il est inutile de s'interroger sur leurs intentions. Ils sont tous pareils; plus égoïstes les uns que les autres.

Son serviteur était retourné vers le service à thé, sûrement entrain de s’en préparer un. Cela fit rappeler à Sharon qu’elle avait le sien, et qu’il refroidissait. Elle prit sa tasse et gouta son thé. Il était magnifiquement bien sucré et d’une douceur exquise -avec du lait et du sucre ? En tous cas, c’était un vrai délice.

-Je pense qu’il est inutile de s’interroger sur leurs intentions. Ils sont tous pareils ; plus égoïstes les uns que les autres.

Elle reprit une gorgé de thé, reposa délicatement la tasse sur la table, et reprit son livre.
Et, sans le vouloir, elle se mit à penser à voix haute.

-Je vois... Alors c’est ce genre d’homme qu’était Kevin Regnard ? Un égoïste ?

Une fois qu'il eut donné son opinion, un ange passa tandis qu'il prit quelques carrés de sucre pour les déposer dans sa tasse de thé. Il versa ensuite une bonne quantité de lait avant que Sharon ne reprenne la parole.
Break mélangeait son breuvage avec une petite cuillère; elle cliqueta sur la porcelaine de la tasse lorsque le valet ne put réprimer son sursaut.
Kevin Regnard.
Un nom qu'il n'aurait jamais voulu entendre de la voix de la miss Rainsworth.
L'homme n'avait plus soif - une roche venait de tomber dans son estomac. Sharon ne lisait pas sur les Contractants Illégaux en général, non, elle lisait sur lui; il pouvait maintenant sentir le poids des mots peser sur ses épaules, l'aura des phrases inscrites sur le papier le repousser vers la porte de la pièce.
Et pourtant, la gravité de ses actes le laissait cloué au sol.
Il était coincé. Il ne pouvait pas tout laisser là et s'en aller, laisser la damoiselle sans la moindre explication - ce serait un comportement qu'il devrait expliquer et comment pouvait-il expliquer l'inexplicable?

Le Chapelier déposa la cuillère et prit sa tasse pour s'asseoir sur l'un des sièges de la pièce, choisissant un emplacement où il tournait le dos à Sharon.

- Est-ce là le sujet de votre lecture? Voilà qui me semble des plus répugnants.

L'intonation de ses mots était telle qu'à l'accoutumée cependant que sa voix était plus basse, plus douce.

- Cela dit, vous avez éveillé ma curiosité. Quelle est donc votre opinion?

Sharon observa son serviteur. A l’évocation de Kevin Regnard, il avait sursauté. Elle l’avait clairement vu, même si cela n’avait duré qu’un dixième de seconde. Et puis elle avait aussi entendu un objet, une cuillère ?, cliqueter. Sûrement un objet qu’il tenait...

- Est-ce là le sujet de votre lecture? Voilà qui me semble des plus répugnants.

Après s’être assit, il lui tournait le dos... Encore une fois.

- Cela dit, vous avez éveillé ma curiosité. Quelle est donc votre opinion?

Ceci était une excellente question... Elle se mit à réfléchir quelques minutes, avant de dire :

- Tu me dis qu’ils sont égoïstes... Ce n’est pas faux, mais qui ne l’ai pas ?.... Je pense qu’ils sont courageux... Ils sont capable de passer des pactes illégalements, pour avoir une chance de changer leur passé. Mais comment peuvent-ils rejeter leur présent ?... Je pense aussi qu’ils doivent avoir une volonté de fer, ce qui est une qualité, pour ne pas perdre leur objectif, car en tuant en série, on peut facilement perdre la raison......

Elle marqua un temps d’arrêt.

-Ce que je dis est horrible...

Break s'attendait à bien des choses de la part de la Rainsworth. Qu'elle lui dise que les Contractants Illégaux étaient des monstres, qu'ils devaient être tués, parce qu'ils sacrifiaient tant de personnes à leur Chain pour un simple souhait égoïste; qu'ils étaient des créatures pitoyables qui se noyaient dans leur désespoir et le semait partout où ils mettaient les pieds, entrainant mort et destruction dans leur sillage. Peut-être même aurait-elle pu rire de tous leurs efforts qui ne menaient à rien, parce que le passé ne pouvait pas être changé - et lorsqu'il l'était, mais ça seul Break le savait, il était perverti à tel point que tout ce qu'ils voulaient améliorer ne faisait au final qu'empirer.
Break s'attendait à tout cela et bien plus, parce que son imaginaire ne pouvait inventer à lui seul les opinions de ceux que le Chapelier côtoyait - des gens qui chassaient les Contractants, d'autres qui en avait été victime indirectement, ayant perdu une personne qui était chère à leurs yeux, assassinée par une Chain grotesque ou l'épée de son Contractant. Et il y avait les autres victimes, celles qui aimaient les Contractants et les perdaient à la folie de leurs quêtes, les abandonnés qui n'auraient rien voulu d'autre que leur père ou leur protecteur à leurs côtés...

Sharon ne disait rien de tout cela et Break ne savait qu'en penser.

Il s'imaginait encore une jeune miss qu'il avait laissé derrière lui et qui avait formé un pacte avec une Chain lorsqu'il n'était pas là pour la protéger. Les traits de la jeune Sinclair étaient brouillés par les années, mais en ce moment cette image se superposait à celle de Sharon - un peu moins brouillée parce que plus récente dans ses souvenirs mais elle disparaitrait elle aussi, l'image de la femme à l'apparence d'une jeune fille s'effacerait derrière son oeil corrompu.
Il se voyait mort et Sharon en train de former un pacte illégal pour le ramener à la vie.

- Sharon, ne tente jamais - jamais - de pardonner ou de justifier leurs actes. Ils ne sont pas courageux, ni déterminés - ils sont désespérés. Sa voix est froide comme la glace. Désespérés comme des noyés qui entrainent n'importe qui au fond des abysses avec eux.

- Sharon, ne tente jamais - jamais - de pardonner ou de justifier leurs actes. Ils ne sont pas courageux, ni déterminés - ils sont désespérés. Désespérés comme des noyés qui entrainent n'importe qui au fond des abysses avec eux.

Le visage de Sharon se teinta de surprise. Break ne lui avait jamais parlé comme cela. Jamais avec une voix aussi dure. Sa tirade lui avait fait l’effet d’une douche froide. Plus qu’un conseil, il lui donnait un ordre.
La jeune fille avait toujours son regard sur Break. Il ne lui en avait jeté depuis tout à l’heure alors que le sujet était grave...
Elle ne savait pas quoi répondre. Au lieu de cela, elle se mit à cogiter... Plus elle réfléchissait, plus elle trouvait que Break avait trouvé description exacte pour définir les Contractants Illégaux.
Mais cette définition, dite avec froideur, était trop parfaite pour des membres de Pandora.

Soudainement, dans son inattention, le livre que Sharon tenait glissa de ses mains fines, et tomba sur le plancher, dans un bruit sourd.
Elle garda le silence.

[Désolé de cette réponse aussi courte et sans intérêt, mais je n’ai pas d’inspi...]

[Je trouve que ta réponse est bien!]


- Miss?

Au bruit sourd, Break se leva et regarda le jeu d'ombres où se trouvait Sharon. Il n'y avait pas de silhouette au sol, ce qui réconforta le Chapelier sur le fait que la damoiselle n'avait pas été victime d'une faiblesse quelconque. Il s'approcha et récupéra le désagréable livre au sol, le tendant à la Miss avec un sourire qu'il voulait calme.
Il avait réagi sous le coup de l'émotion; quelque chose qu'il ne pouvait se permettre s'il voulait garder son secret intact.

- Ah, excusez ma réaction. Mais vous devez comprendre que lors d'une chasse aux Contractants, il n'y a pas de pitié à avoir pour eux. La moindre hésitation peut vous coûter la vie - chose que j'ai vu arriver bien souvent aux autres agents de Pandora. Une pause, puis : Peu importe l'intérêt qu'ils semblent vous inspirer, ils sont d'abord et avant tout des créatures sans merci.

- Miss?

Sharon le vit se lever et se retourner vers elle, pour voir d’où venait le bruit. Puis, il s’approcha, ramassa le livre et lui tendit. Elle put ainsi observer le visage de son valet. Il lui souriait.

- Ah, excusez ma réaction. Mais vous devez comprendre que lors d'une chasse aux Contractants, il n'y a pas de pitié à avoir pour eux. La moindre hésitation peut vous coûter la vie - chose que j'ai vu arriver bien souvent aux autres agents de Pandora. Une pause, puis : Peu importe l'intérêt qu'ils semblent vous inspirer, ils sont d'abord et avant tout des créatures sans merci.

Sharon regardait le livre que lui tendait Break. D’après ce qu’elle avait comprit, elle devait traiter les Contractants sans aucune pitié, chose qu’elle n’arrivait pas à faire... Et puis ce fichu nom lui revenait sans cesse..... Kevin Regnard .... Il lui restait en tête. Parce que c'est le plus horrible de tous les Contractants...

En tendant sa main pour récupérer le livre, elle dit d’une voix empreint de légèreté :

-Alors...ta comparaison t’ai venue lorsque tu poursuivais les Contractants ?

- Hm?

Sa comparaison? Ah - ce que Break avait dit à propos des noyés, sans doute.

- Vous semblez croire que je ne travaille jamais, dites donc~

La surprise et l'émotion s'écartaient pour laisser place au masque que revêtait le Chapelier avec tant de facilité. Sa propre réaction avait effrayé Sharon; il ne pouvait pas se permettre de rester faible plus longtemps.
Il lui fallait reprendre ses esprits, reprendre contrôle.

- À force de chasser, on apprend quelques trucs sur sa proie.

- Hm?

Elle prit le livre et le feuilleta pour retrouver sa page. Ensuite elle le posa sur la table.

- Vous semblez croire que je ne travaille jamais, dites donc~

« Toi ? Travailler ? pensa-t-elle, En tout cas, tu donnes ta toute ta paperasse à Reim. Le pauvre... Déjà qu’il a beaucoup à faire...».

- À force de chasser, on apprend quelques trucs sur sa proie.

- Tu ne les considères même plus comme humains ?

Elle n’était pas si surprise qu’il les déshumanise. Avant cette conversation elle l’aurait probablement été. Mais plus maintenant.

L'oeil rouge se tourna en direction du livre que Sharon avait déposé sur la table; un rapide coup d'oeil qui, de toute façon, n'en valait pas la peine. Break avait presque crut voir les lettres noires sur les pages du livre, celles qui formaient son nom d'antan. Mais cela n'était qu'une impression, évidemment. Son regard ne savait plus distinguer l'encre des lettres de la noirceur permanente.
Break regarda à nouveau la damoiselle. Sa question méritait réflexion; même si la réponse lui semblait évidente (évidemment qu'ils ne sont plus des humains, pas alors qu'ils sont dans cet état meurtrier, possédés par les démons de leur esprit et ceux qu'on surnomme Chains).
Le Chapelier n'aimait pas leur conversation. Pour autant que Reim et Lady Sheryl lui disaient encore et encore que Sharon était une adulte, qu'elle était digne de sa confiance, Break voyait encore une jeune fille qui pouvait se briser comme du verre.
Et Break brisait. C'est ce qu'il savait faire de mieux.
Il ne voulait pas que ses mots la fracasse. Ses précédentes paroles avaient déjà fait assez de dégâts ainsi.
Il ne pouvait pas dire que, pour lui, les proies n'avaient jamais été autre chose que des humains.

- Mon épée est au service de Pandora et de votre famille. Mon opinion sur le sujet n'a pas la moindre importance lorsqu'un travail m'est donné.

Il sourit à l'intention de Sharon.

- Je ne savais pas que les Contractants Illégaux vous intéressaient à ce point~

- Mon épée est au service de Pandora et de votre famille. Mon opinion sur le sujet n'a pas la moindre importance lorsqu'un travail m'est donné.

Elle se mordit la lèvre inférieure. Ҫa l’irritait un peu lorsqu’une personne évitait une question. Et c’est précisément ce que Break faisait. La jeune femme savait ce que cela voulait dire : ce sujet le dérangeait pour une raison quelconque. Raison qu’elle espérait, non, qu’elle voudrait découvrir.

- Je ne savais pas que les Contractants Illégaux vous intéressaient à ce point~

-En fait... Ce ne sont pas tout les Contractants qui m’intéressent.

Non... Il y en avait juste un seul.
Elle reprit sa tasse de thé. Il avait refroidit, mais était encore délicieux.

-C’est Kevin Regnard.

Encore ce nom - le sien, celui de l'homme qu'il avait été dans le passé. À défaut de ne pouvoir agir naturellement, Break préféra rester silencieux et immobile.
Une seconde, puis deux, à peine le temps de laisser à son esprit la chance de reprendre contrôle de ses actions.
La damoiselle n'abandonnerait pas cette conversation; pour une quelconque raison, elle était intéressée par l'avis de son valet. Une petite voix chuchotait des avertissements à l'oreille de Break. Avait-elle des doutes? Avait-elle remarqué l'inconfort de l'ancien chevalier? Cherchait-elle à en découvrir l'origine?
Savait-elle dans quelle situation elle le mettait en discutant de tels sujets?

D'autres paroles résonnaient dans son esprit, mais Break les ignora. C'étaient celles de Kevin - une voix sans intonation, déterminée et glacée, des raisonnements tout aussi froids et sans coeur, dominés par l'instinct de survie et rien d'autre. La pensée d'un animal qui devait choisir entre se battre ou fuir.
Pendant un moment, Kevin avait vécu ainsi. Un chasseur à la recherche de proies la nuit, une proie qui fuyait ses pourchasseurs le jour. Il avait rejeté l'honneur de son titre de chevalier en acceptant le pacte avec Albus et était devenu rien d'autre qu'un prédateur à la conscience d'une bête sauvage : tuer ou être tué. La culpabilité n'existait pas dans ses pensées alors qu'il était fixé sur son seul et unique objectif.
Autrefois, Kevin avait été un humain. L'honneur et le devoir étaient ce qui comptaient le plus pour lui. Lorsqu'il combattait, c'était toujours dans un combat équitable. Lorsqu'il tuait, c'était de la façon la moins douloureuse possible. Mais l'agonie d'échouer dans son rôle avait perverti tout ce qu'il était, le transformant en un monstre à l'instar de tous les autres Contractants Illégaux.

Mais Kevin était Xerxes maintenant. Il n'était plus un chevalier dévoué à sa famille, il n'était plus une bête sauvage qui ne pensait qu'à la chasse. Non, il était Break, et que devait faire Xerxes Break dans une telle situation?
Il sortit une sucette de sa bourse et sourit en s'asseyant à côté de Sharon.
Impossible de reculer sans en subir les répercussions dans le futur; impossible d'affronter de front la discussion qui s'annonçait. Break allait jouer son rôle, parce qu'il n'était pas Kevin Regnard, non, cet homme était mort dans l'Abysse et ne vivait plus que dans les pensées et dans les livres. Ce n'était qu'une tache de sang dans le livre de l'histoire et ce sang n'était certainement pas sur ses mains.

- Et moi qui croyait que vous étiez intéressée par les nobles romantiques et les preux chevaliers~ Si c'est ce genre d'hommes qui vous intéresse, Miss, il vous sera plutôt difficile de choisir un amant~

Son serviteur était maintenant assit à coté d’elle, une sucette à la main et souriant. Elle se surprit à penser que la sucrerie devait être délicieuse avec sa couleur douce rose et blanche. Ce n’était pas étonnant que Break les aimes !

- Et moi qui croyait que vous étiez intéressée par les nobles romantiques et les preux chevaliers~ Si c'est ce genre d'hommes qui vous intéresse, Miss, il vous sera plutôt difficile de choisir un amant~

Son visage d’enfant s’empourpra à vue d’œil malgré elle. La jeune femme toussota pour s’éclaircir la gorge et parvint à bégayer :

-Ce-ce n’est pas c-ce que tu crois ! Et puis, là n’est pas la question !

Il n’avait pas réagit, pas comme tout à l’heure lorsqu’il avait sursauté, comme si ce nom ne lui faisait rien. Et la jeune Rainsworth voyait bien qu’il était décidé à changer de sujet.
Ce dernier incommodait son valet ... et la curiosité de Sharon allait l’emporter.

-Break... Pourquoi, elle s’arrêta puis reprit, Pourquoi cherches-tu à l’éviter ?

Comme l'inconfort de la damoiselle était doux aux oreilles du Chapelier! Il rit dans sa manche, son oeil rouge brillant de malice.
Lorsqu'elle posa encore une fois une question à Break, ce dernier cessa de ricaner; un sourire resta malgré tout accroché à ses lèvres, un sourire non pas amusé mais fatigué.

- Ce sujet, est-il vraiment important? Vous apportera-t-il quelque chose, autre que la satisfaction d'avoir obtenu une réponse de ma part?

Il fit un large geste de la main en direction du bureau et du livre.

- Tout ce qui se trouve entre ces pages n'est que les traces du passé.

[Désolé du retard !]

- Ce sujet, est-il vraiment important? Vous apportera-t-il quelque chose, autre que la satisfaction d'avoir obtenu une réponse de ma part?

Il ne lui laissa pas le temps de répondre et enchaina :

- Tout ce qui se trouve entre ces pages n'est que les traces du passé.

Et elles sont importantes...
Certaines étaient joyeuses, d’autres tristes et lamentables à en pleurer...  Elle laissa vagabonder son esprit et elle se retrouva enfant, avant son pacte avec Eques, au chevet de sa chère mère. Normalement, Sharon s’interdisait de penser à elle, à sa voix, à son odeur, à tout ce qui la concernait, au risque de s’écrouler de chagrin. Mais pour cette fois, elle n’essaya même pas de s’échapper de ce souvenir si douloureux. Elle se remémora quelques secondes le visage de Shelly avant de se dire qu’elle se faisait du mal inutilement.
... Peut-être que c’était pour cela que Break ne voulait pas répondre... Peut-être qu’un événement grave, qui est en rapport avec le livre, s’était produit et que ça l’avait traumatisé. Mais ça ne pouvait être ça. Break ne pouvait l’être. A sa connaissance, c’était un homme fort, physiquement comme intérieurement...  

-Mais les traces du passé forgent le futur.

[Ne t'en fais pas, il arrive à tout le monde de répondre moins vite parfois~]

- Je ne contesterai pas de telles paroles; il est vrai que le passé peut influencer le futur.

Positivement ou négativement. À trop rester enchaîné au passé, à se remémorer encore et encore les choses perdues au fil des ans ou les erreurs commises, il devient impossible de regarder le futur.
Pour Break, il n'y avait que le présent : son passé couleur de sang et son futur noir mort ne lui laissaient pas le choix. Il ne rejetait ni l'un ni l'autre, bien au contraire même, car pour s'accepter tel qu'il était aujourd'hui, il avait dû travailler longtemps sur les émotions qui l'avait assaillis alors que Sharon n'était qu'une enfant. Mais de là à réouvrir volontairement les plaies de son passé...

Sharon avait pourtant quelque chose en tête. Break soupira et sourit, même si son sourire sonnait faux. Elle lui posait des questions sur les Contractants Illégaux, sur Kevin Regnard...

- Cessons de tourner autour du pot. Pourquoi toutes ces questions, miss?

Il s'avança vers la damoiselle et approcha son visage du sien, s'assurant de plonger son regard rougeoyant dans celui de Sharon. Rouge, rouge comme le Spectre qui vivait toujours entre les lignes du livre - et dans l'esprit de celui qui avait été Kevin.

- Vous ferais-je penser à quelqu'un?

Peut-être se damnait-il lui-même mais Break n'en pouvait plus de l'étau qui comprimait son coeur. Ce n'était pas de la peur, non, il ne craignait pas les conséquences qu'aurait son passé sur sa vie actuelle.
Ah... mais peut-être se mentait-il à lui-même lorsqu'il se disait de telles choses.

- Je ne contesterai pas de telles paroles; il est vrai que le passé peut influencer le futur.

Oui, malheureusement... Il est peut-être cruel ou joyeux. Parfois, dans le désespoir, on s’en réinvente un, dans l’espoir que celui-ci change. Mais cela ne concernait pas Sharon. Elle était contente du sien. Il était presque joyeux.
Cela était-il le cas pour Break ?
Elle lui poserait la question... Un jour.

- Cessons de tourner autour du pot. Pourquoi toutes ces questions, miss?

Le visage de Break était maintenant à quelques centimètres du sien, son regard planté dans celui de la jeune fille. Cette soudaine proximité la mettait mal à l’aise. Peut-être était-ce à cause de son regard de la couleur du sang...et du malheur.

- Vous ferais-je penser à quelqu'un?

Elle jeta un rapide coup d’œil au livre qu’elle avait laissé sur la page de Kevin Regnard, puis regarda à nouveau Break.
Elle avait beau se dire qu’ils n’avaient rien en commun –à part leur iris rouge. Pourtant, un horrible pressentiment ne la quitta pas. Il était né au début de leur conversation, et depuis ne cessait de grandir. Mais celui-ci était absurde. Complètement absurde.

-Je ne sais pas.

- Vous ne savez pas? répéta le Chapelier.

Break fit un pas en arrière et se redressa; tourna le dos à la demoiselle pour retourner à l'endroit où il avait laissé son thé. Il prit la tasse et but une gorgée du breuvage tiède et sucré, à la fois pour s'accorder un moment de répit et pour soulager sa bouche sèche.
Il ne restait pas sur place - à un moment il fit le tour de la table basse, puis y redéposa son thé, puis son regard retourna sur la silhouette sombre de Sharon.

- Vous ne savez pas. Si tel est le cas, comment sauriez-vous si j'essaie d'éviter un sujet précis? Peut-être suis-je simplement en train de me jouer de vous, qui sait? De m'amuser de vos questions philosophiques parce que je n'ai rien d'autre à faire?

- Vous ne savez pas?

Son valet ne restait pas en place.
Sharon ne savait pas que répondre. Lui dire qu’elle l’assimilait étrangement avec un meurtrier ? Impossible. Il en rirait et elle aurait honte de son erreur.

- Vous ne savez pas. Si tel est le cas, comment sauriez-vous si j'essaie d'éviter un sujet précis? Peut-être suis-je simplement en train de me jouer de vous, qui sait? De m'amuser de vos questions philosophiques parce que je n'ai rien d'autre à faire?

- Non Break, je ne sais pas. Enfin, je sais que tu ne te joues pas de moi. Tes réactions en disent long.

Elle voulait une réponse et brulait de curiosité. Si à sa prochaine question il ne répondait pas, elle serait malheureusement dans l’obligation de lui soutirer une réponse à l’aide de son éventail.

-Alors ? Qu’essaies-tu de cacher ? dit-elle dans un sourire.

- Kevin Regnard.

C'est ce qu'elle voulait savoir, n'est-ce pas?

- Le Spectre aux Yeux Rouges. Surnommé ainsi parce que ceux qui ont survécu à sa rencontre ne voyaient que cela de lui; deux yeux rougeoyants dans les ténèbres. Meurtrier en série ayant fait 116 victimes confirmées, il a fini par disparaître, supposément entraîné dans l'Abysse une fois son Sceau complété.

Reim lui disait que Sharon était une grande fille, n'est-ce pas?

- Les enfants maudits. Ces jeunes qui, dans le passé, étaient considérés par la population comme des porteurs de malchance, tout cela parce qu'ils avaient les yeux rouges. Certains murmuraient que les personnes aux yeux rouges avaient des pouvoirs reliés à l'Abysse.

Il s'assit finalement à côté de Sharon, jambes croisées. Il regardait à travers la fenêtre, quelques points lumineux lui laissant deviner un portrait typique d'hiver.

- Xerxes Break. L'étranger à l'oeil rouge que vous avez retrouvé devant la Porte de l'Abysse. Il sourit doucement, amèrement. Vous pensez que je cache quelque chose. Vous me posez des questions, sans jamais arriver à ce qui vous tracasse vraiment. Ce que vous avez peur de dire, peut-être?

Il avalait chaque mot comme un poignard qui le déchirait de l'intérieur et c'était peut-être exactement ce qu'il méritait. Qu'elle lui fasse avouer ses torts, qu'elle lui dise à quel point elle était dégoûtée d'avoir partagé toutes ces années avec le pire des monstres. Comment avait-il pu lui cacher sa nature réelle?
Elle le détesterait, elle le rejetterait et il sentait déjà l'hiver s'emparer de son corps, en commençant pas le bout de ses doigts.
Et pourtant il décroisa ses jambes pour mieux se tourner vers elle, pour la regarder de son oeil rouge maudit alors qu'un sourire carnassier apparaissait sur son visage.
Une main sur un bouton de sa chemise.

- Peut-être voulez-vous avoir le coeur net - voir si ma peau est souillée par le péché, mh?